Création audiovisuelle française : ce que révèle la Journée de la Création 2025
Le 27 mai 2025, l’auditorium de la SACEM a accueilli la Journée de la Création, organisée par le Festival de la Fiction. Ce rendez-vous sur la création audiovisuelle française a confronté diagnostics, récits de terrain et contradictions. Le titre officiel évoquait l’avenir. Ce qui a été dit parlait surtout du présent.
Une ouverture sans faux-semblants
Sophie Révil (productrice, Escazal Films) et Marjorie Paillon (journaliste) ont ouvert la journée.Elles ont posé les bases : ce qui menace la création française est structurel. Il ne s’agit pas seulement de concurrence mondiale ou d’IA, mais d’une fragilisation du rôle des auteurs dans les processus de production eux-mêmes.
Plusieurs voix se sont élevées dès le début pour rappeler que les décisions se prennent en leur absence. Qu’ils et elles écrivent souvent à l’aveugle, sans données ni retours. Qu’on les invite à la table des résultats, rarement à celle des choix.
Création audiovisuelle française : exception culturelle : un modèle sous pression
Martin Ajdari (Arcom), Delphine Ernotte Cunci (France Télévisions, UER), Rodolphe Belmer (TF1, LaFA), Mathilde Fiquet (CEPI), David El Sayegh (SACEM), Pascal Rogard (SACD) ont défendu le modèle européen. Ils ont évoqué la régulation, les quotas, les obligations d’investissement. Pas les arbitrages réels sur les contenus.
Une scénariste note : « On parle beaucoup de nous. On nous donne peu de place. » Le service public est valorisé, mais ses propres logiques éditoriales sont rarement remises en cause. Le modèle français se défend mieux dans les discours que dans les actes.
Data et opacité : créer dans le brouillard
Julien Rosanvallon (Médiamétrie) évoque la fragmentation des usages. Antoine Boilley (Arcom) et Tiphaine de Raguenel (France Télévisions) parlent d’ajustement stratégique. Mais les auteurs restent dans le noir. Ils n’ont pas accès aux données sur leurs propres œuvres. Un auteur dit : « On nous demande d’anticiper des attentes qu’on n’a pas le droit de consulter. »
Résultat : les décisions s’appuient sur des impressions, pas des faits. Le processus d’écriture se fait sans retour, sans feedback, sans ancrage réel.
Formatage et autocensure
Les témoignages s’enchaînent. Colère, conflit, religion, politique : tous ces éléments sont retirés dès la première version. L’autocensure est intégrée. Une autrice parle de « conformité narrative ». Une autre résume : « On ne propose plus d’histoires. On soumet des contenus. »
La diversité est souvent invoquée, rarement interrogée. « On coche des cases. On n’explore pas. »
L’IA comme partenaire d’écriture
Le projet PROMPT (Christilla Huillard-Kann, Marianne Levy-Leblond) explore une IA générative comme outil de travail. Mais le débat révèle une inquiétude. Simon Bouisson, David Defendi, Paul Sabin, Tariq Krim rappellent que ces outils n’ont de sens que dans un cadre créatif maîtrisé. « L’IA, c’est utile si tu sais déjà ce que tu veux raconter. Sinon, c’est une machine à produire du vide. »
Le public est partagé. L’outil intrigue. Mais il ne remplace pas un processus. Il le conditionne.
Exporter la création audiovisuelle française sans perdre son ancrage
Deux cas : *Bref.2* (My Box Prod, Disney+) et *Astrid et Raphaëlle* (France TV). Les succès sont réels, mais la logique d’exportation pousse à simplifier. Une phrase revient : « Pour exister à l’étranger, il faut être lisible. » Mais à quel prix ? Plusieurs auteurs dénoncent un formatage anticipé dès l’écriture. L’universel devient une contrainte, pas un levier.
Gaétan Bruel : faire exister ce qui n’existe pas encore
Le président du CNC clôt la journée. Il parle de droit à l’échec, à l’essai, à la fragilité et propose une orientation : « Le CNC servira à faire exister ce qui n’existe pas encore. » Il ne s’agit pas d’optimiser, mais de permettre. Non de suivre, mais d’ouvrir.
Conclusion : défendre la création audiovisuelle française au-delà du discours
Ce que cette journée a réellement montré :
Les outils existent. Les discours sont posés, les bilans partagés.
Mais tant que les auteur·rice·s n’auront pas accès aux données, tant que les récits seront ajustés aux formats attendus, tant que les processus resteront opaques, le déséquilibre persistera.
Pas entre création et industrie — les deux sont liées — mais entre parole symbolique et pouvoir réel.
Créer ne devrait pas exiger de neutraliser le politique, de lisser le complexe ou d’anticiper des attentes invisibles.
Créer, c’est aussi risquer. C’est ce qu’il reste à garantir.