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Zar Amir

Zar Amir Interview de la coréalisatrice de Tatami


Zar Amir, déjà récompensée au Festival de Cannes pour "Les nuits de Mashhad", revient avec ce projet audacieux où la collaboration entre une Iranienne et un Israélien transcende les tensions politiques.

Dans "Tatami" coréalisé par Zar Amir Ebrahimi et Guy Nattiv, la lutte d'une judokate iranienne pour réaliser son rêve sous la pression d'un régime oppressif résonne avec force.

Zar Amir nous dévoile les coulisses de cette œuvre captivante, un témoignage puissant de résistance et de sororité face à l'oppression, né de son engagement pour les droits des femmes, tant en Iran qu'à travers le monde.


En 2022, Zar Amir figurait sur la liste des 100 Femmes de la BBC comme l'une des femmes les plus inspirantes et influentes du monde.

Coréalisatrice iranienne du film « Tatami », une collaboration historique avec l'Israélien Guy Nattiv, Zar Amir  vit à Paris depuis mars 2008, après avoir fui l’Iran suite à la publication d’une vidéo avec son petit ami qui la mettait en danger de mort. Exilée à Paris, elle a appris le français et exercé divers métiers.
Zar Amir s’est accrochée jusqu’à devenir productrice pour BBC World, et elle a été primée au Festival de Cannes en 2022 pour son rôle dans « Les nuits de Mashhad » d’Ali Abbasi.


Révélée grâce à son métier d’actrice, Zar Amir a toujours eu une passion pour la réalisation.
Jeune, elle a réalisé un court-métrage, Khat, puis elle a occupé tous les postes sur un plateau de cinéma. Elle a toujours voulu réaliser des films et c’est finalement grâce au casting qu’elle a signé ce film. 
Preuve, s’il le fallait, qu’elle a bien fait de suivre les conseils de son voisin, un grand réalisateur iranien…Comédienne, productrice et réalisatrice, Zar Amir ne cesse de repousser les limites.
Cette fois, elle a travaillé aux côtés d’un réalisateur israélien, Guy Nattiv, choisie d'abord pour le casting, puis pour la coréalisation.
Une collaboration historique entre deux pays ennemis officiels, mais dont les peuples amis partagent ce même amour de la liberté et de la vie.





Interview réalisée en tandem  autour d’une table ronde avec Jérémy Chommanivong
  du « Mag du Ciné ».

 

C’est une actrice et réalisatrice souriante, toute de vert vêtu, que nous avons rencontrée sur la belle terrasse de Metropolitan Films.

 

Movieintheair :  
J'avais vu « Les nuits de Mashhad » que j'ai adoré. Et puis j’ai vu « Tatami » qui est un film très puissant aussi.
Ma première question est : pourquoi avez-vous voulu devenir actrice puis réalisatrice ? Avez-vous ressenti très tôt que devenir actrice était un moyen de jouer avec les règles de la société ?

Zar Amir
 : C'est un peu l'inverse. La première chose que j'ai faite dans ma carrière, c'était de réaliser un court-métrage à 18 ans (ndlr:Khat). Et avant cela, je faisais un peu d’assistanat, scripte. Je voulais plutôt devenir réalisatrice.
Après, c’est suite aux conseils d’un grand metteur en scène iranien qui était mon voisin, qui m’a dit : « Si tu veux devenir une bonne réalisatrice, il faut apprendre comment on joue. Car tout ce qui est technique, tu peux l’apprendre sur le tas, mais tu ne sauras jamais diriger un acteur sans comprendre son métier. » C’était vraiment le meilleur conseil de ma vie, et j’ai poursuivi des études d’art dramatique en Iran.

Tout de suite, je suis tombée amoureuse du métier d’actrice qui te permet de vraiment vivre des vies différentes, de vivre des personnages variés et j'ai commencé à travailler en tant qu’actrice. Mais j'ai continué à travailler sur des projets derrière la caméra.
Puis il y a toute mon histoire d'exil qui m'a forcée à rester derrière la caméra pendant des années. Quand je suis arrivée en France, je ne parlais pas français et je n'avais pas de réseau. Donc j'ai fait pas mal de documentaires, j'ai commencé à filmer, à être cadreuse, monteuse, productrice. Et puis, j'ai repris mon métier d'actrice.
C'était un peu difficile au début, car jouer uniquement m'ennuie, mais réaliser uniquement m'ennuie aussi. La réalisation, pour moi, c'est capturer un monde entier qui me fascine. Cela me manque parfois de filmer, même d’être cadreuse, car cela me passionne. C’est vraiment tous les aspects du cinéma qui m’intéressent.


Le Mag du Ciné : Cela vous a donc fait plaisir que Guy Nattiv vous propose de réaliser avec lui ? Quelles ont été les étapes d'écriture que vous avez abordées ensemble ? Vous êtes partie d’où ?

Zar Amir
 : 
En fait, pour moi, tout a commencé par une demande de casting, de manière organique. C'était avant la sortie et avant Cannes du film « Les Nuits de Mashhad ». Nous nous sommes ensuite rencontrés à Los Angeles pendant la sortie américaine de « Holy Spider » (titre américain de « Les Nuits de Mashhad » ndlr). Guy est venu voir le film, il l'a adoré, et m'a offert le rôle de Maryam.
Nous en avons beaucoup parlé. Le scénario était déjà écrit par Guy et sa collaboratrice Elham Erfani, une scénariste iranienne qui vit en France.

Le scénario était fort, et je savais qu'il fallait absolument raconter cette histoire. Je connaissais bien le sujet, ayant des amies athlètes qui ont vécu des expériences similaires, mais il manquait quelque chose au personnage de Maryam, l’entraîneuse d’Arienne. Elle n'était pas assez profonde, elle manquait de présence.
Ce que j’ai dit à Guy, c'est que ce film est avant tout la confrontation de deux générations et comment chacune réagit face à un État totalitaire. On voit comment Maryam, qui a été trahie, est blessée, et comment Leïla, cette jeunesse nouvelle et déterminée, trouve en elle une source d'inspiration.
J'ai demandé une réécriture de ce personnage. Je l'ai faite avec Elham (ndlr: Elham Erfani) et nous avons beaucoup travaillé ensemble.

Puis, j'ai fait le casting également. J’étais déjà directrice du casting sur « Les nuits de Mashhad » lorsque Ali Abbasi m'a proposé le rôle. Arienne était déjà attachée au projet. À la fin, j'ai tellement donné mon avis sur tout qu’un jour, Guy m’a dit : "Je ne me sens pas légitime de faire ce film tout seul. Viens, réalisons-le ensemble."

Mais là, j'ai pris un peu de temps pour réfléchir, car entre les tensions entre l'Iran et Israël, avec tous les jugements qui pourraient suivre… J'ai pris mon temps pour être sûre de ce que je voulais faire. J'ai beaucoup parlé avec Guy pour être certaine de sa vision, de sa politique, de l'histoire qu'il voulait raconter. J'ai vu tous ses films. Une fois que j'étais sûre de la qualité artistique du film, j'ai vraiment laissé toutes mes peurs derrière moi.
Et je suis tellement contente d’avoir fait ce film parce que c'était vraiment une belle collaboration, cette collaboration historique est un message fort.

 

 

« J’ai beaucoup parlé avec Guy pour être certaine de sa vision, de sa politique,

de l’histoire qu’il voulait raconter. »

 

 

Movieintheair : 
Sur le tournage, il y avait une athlète, une boxeuse iranienne nommée Sadaf Khadem qui a été consultante parce qu'elle a vécu ce que vivait le personnage. Comment est-ce qu'elle est intervenue par rapport à votre écriture ? Est-ce que vous étiez toujours d'accord ?


Zar Amir
 : Je n'étais pas là pendant l'écriture, mais je sais que l’histoire est inspirée de nombreuses histoires d'athlètes. Elle, elle est la première boxeuse iranienne à avoir remporté des médailles, et elle a enlevé son voile. Elle a rencontré de nombreux problèmes lorsqu'elle a voulu retourner en Iran à l'époque. C'était en 2019, je crois. Elle est donc restée en France. Oui, elle était consultante sur le film, mais surtout pour construire cet univers des athlètes, ceux qui subissent le danger, le risque qu'ils prennent. Ce film c'était aussi une partie de sa propre vie.


« Tatami n’est pas seulement inspiré par les Iraniens,

mais aussi par les réfugiés du monde entier »

 

 

Movieintheair : Comment avez-vous vécu les Jeux Olympiques cet été, car cela avait une résonance très forte avec le film ? On a vu, justement, un athlète israélien se retrouver tout seul parce que l’Algérien a refusé de l’affronter…


Zar Amir
 : J'étais en tournage en Arménie, donc je ne pouvais pas être là, malheureusement. Mais tous les soirs, je suivais l'évolution des Jeux. Il y avait l'équipe de judo des réfugiés à Paris qui était en contact avec moi, et j'étais informée quotidiennement de ce qui se passait.

Mais il y a une image qui m'a particulièrement touchée, celle de Kimia Alizadeh au Taekwondo pour la Bulgarie et Nahid Kiani, représentant l’Iran, qui se prennent dans les bras. Ces deux-là sont des amies, des camarades. Elles se sont retrouvées encore dans une situation similaire, il y a quatre ans. La dernière fois, c'était Kimia qui a gagné, et cette fois-ci, c'était Nahid. C'est cela qui est beau. L'une était Iranienne, l’autre était Bulgare, mais elle était Iranienne aussi.

Cette image où elles s’embrassent et se prennent dans les bras longtemps a été censurée à la télévision nationale iranienne. Ils (le régime) ne supportent même pas cette amitié. C'est le sujet de notre film. Oui, il y avait cela qui m'a vraiment touchée. C'est exactement ce qui se passe dans « Tatami » à la fin.
Puis, il y a eu la première réfugiée à la boxe qui a remporté une médaille (Cindy Ngamba). Cette équipe de réfugiés qui n'existe que depuis trois Olympiades (2016), est fabuleuse. C'était un grand événement.

« Tatami » n'est pas seulement inspiré par les Iraniens, mais aussi par les réfugiés du monde entier. Il y a aussi d'autres athlètes qui se retrouvent confrontés à des situations similaires à celles décrites dans le film. L’abandon est parfois une décision personnelle, ou c'est la pression d'un État.
Moi, j'aimerais que tout le monde se retrouve dans la paix, que l’on conserve cette amitié, et qu'on ne laisse pas les États briser cette amitié. C'est ce que je souhaite, mais chacun a son avis.

 

«Pendant les Jeux Olympiques,

il y a une image qui m’a particulièrement touchée, c’est celle de

  Kimia Alizadeh au  Taekwondo pour la Bulgarie et Nahid Kiani,

représentant l’Iran, qui se prennent dans les bras. »



Le Mag du Ciné
 : Ce qui est important aussi, c'est que dans le film « Tatami », on voit que l'athlète israélienne et l'iranienne sont amies, se connaissent, mais il y a aussi une proximité culturelle entre les deux pays. Même si ce n'est pas détaillé dans le film, on sent qu'il y a une zone de conflit, une zone de tension. Autour de la production et du tournage, y a-t-il eu des difficultés ?


Zar Amir
 : Non, nous avons pris beaucoup de précautions sur le tournage. C'était un tournage très sécurisé. Je ne sortais pas, car nous avons tourné à Tbilissi où il y a une importante communauté iranienne proche du gouvernement. Il y a tout un réseau d’affaires des Gardiens de la révolution en place en Géorgie. Je faisais très attention. Je ne sortais pas. Heureusement, c'était l'hiver, donc j'étais tout le temps un peu cachée derrière mon écharpe.
Mais le lieu  nous a aidés, car c'était un stade où se produisait 80 % du tournage. Nous étions enfermés dans un endroit souterrain. Il y avait une sécurité en place, car nous ne voulions pas être dérangés par n'importe qui, que ce soit du gouvernement iranien ou non.

Mais ce qui est intéressant, c'est que lorsque j'ai commencé mon travail sur ce film, j'ai dit à la production que je ne mettrai jamais les pieds en Israël.

Et ce n'est pas parce que je suis contre Israël, mais parce que j'ai tellement entendu d’histoires de gens, d'amis cinéastes qui se sont fait arrêter pendant des heures et des heures à l'aéroport pour des interrogatoires. J'ai été interrogée en Iran pendant un an. Je suis complètement frustrée et traumatisée par ce que j’ai vécu là-bas. Même quand je vais aux États-Unis et qu’on me pose plus de trois questions d'une manière un peu violente, je commence à trembler. Donc je ne pouvais pas m'imaginer passer toute une journée à l’aéroport.

Finalement, nous avons commencé le montage. C'était très compliqué de monter à distance. À un moment, je me suis dit que ce n'était pas possible. Pour le bien du film, il fallait que je passe à Tel Aviv.

Quand je suis arrivée à Tel Aviv, tout le monde à l’aéroport était déjà au courant. Je suis passée assez rapidement, et j'ai découvert Tel Aviv.

La première impression que j'ai eue, c'est que je m’y suis sentie chez moi. Je voyais les gens et je me disais : "Ce n’est pas possible, on pourrait vraiment être frères et sœurs, on est presque de la même famille, de la même culture." Même nos défauts sont similaires. (rires). C'est drôle, mais franchement, même la bouffe, l'odeur que j'aime, je ne sais pas, l'air, l'architecture, tout me plaisait. C'était comme si j’étais en Iran. J'ai rencontré toute l'équipe israélienne et nous avons tellement ri, nous nous entendions si bien.
Franchement, si nous n'avions pas été obligés de parler anglais entre nous, c'était comme si j'avais été avec mes amis iraniens, nous avons les mêmes défauts (rires). Voilà pourquoi j'ai voulu raconter cette histoire. Il n'y a eu aucun problème, aucune dispute, rien. Nous nous sommes bien entendus avec tout le monde.

 

« J’ai découvert Tel Aviv. La première impression que j’ai eue,

c’est que je m’y suis sentie chez moi. »


Movieintheair : 
On voit très peu l’actrice qui joue l'athlète israélienne (ndlr : Lir Katz) Pourtant, on sent quand même qu'il y a une compréhension entre les deux athlètes. Comment avez-vous réussi à construire cette complicité ?

Zar Amir
 : Elles sont devenues les meilleures amies du monde sur le tournage. Dès les premiers moments, elles étaient inséparables. Et notre actrice israélienne est restée longtemps. Nous voulions la voir davantage à l'écran. Mais finalement, pour des raisons de sensibilité du sujet, nous avons décidé de réduire un peu son rôle pour ne pas trop insister sur la partie israélienne, mais plutôt de rester sur la partie iranienne. Mais leur amitié en dehors du film a tellement fonctionné qu'on la ressent à l’écran.


Le Mag du Ciné: On sent qu'il y a un dilemme similaire des deux côtés, avec Leïla d'un côté. Comment avez-vous trouvé l'actrice pour incarner Leïla ?


Zar Amir
 : Nous avons fait un tour du monde.

Le Mag du Ciné: Oui, car c'est le judo qui est au centre du film. Il fallait des personnes avec le physique nécessaire pour incarner ces rôles.


Zar Amir
 : Oui, c'était un long casting. Nous avons rencontré de nombreuses actrices partout. Il fallait aussi qu’elle soit iranienne pour pouvoir parler farsi, etc.
Arienne habite à Los Angeles, dans la même ville que Guy (ndlr : Guy Nattiv), mais elle vient de la boxe. Physiquement, elle était prête, mais elle ne connaissait pas le judo. Elle s'est entraînée avec un coach magnifique (ndlr : Philippe Moretti, de Hollywood Judo Dojo qui vient de fêter son 90ème anniversaire) à Los Angeles pendant deux ou trois mois. Et moi, j'étais là-bas pour la campagne des Oscars pour "Les nuits de Mashhad".

Comme j'ai passé pas mal de temps à l'observer, cela m'a aidée pour mon rôle de coach. Je voyais à quel point elle se donnait à fond tous les jours pendant deux mois et demi. En même temps, elle devait travailler sur son attitude iranienne, car elle fait partie de la génération qui n'a pas grandi en Iran.
Sa mère est Chilienne.
Elle ne parlait pas bien le farsi. Mais tous les soirs (ndlr : la journée, Arienne Mandi travaillait sur la série The L Word : Generation Q), nous travaillions sur son farsi, mais pas seulement sur la langue, aussi sur toute une attitude, tous les gestes qui viennent d'une fille d'Iran, pas d'une fille de Los Angeles.

Elle est forte, elle est hyper talentueuse. Toutes les autres judokas étaient de vraies judokas géorgiennes. Nous avions une doublure pour elle sur le plateau au cas où elle ne parviendrait pas à réaliser certaines scènes. Mais elle a tout fait elle-même, et ces judokas, de vraies judokas, étaient impressionnées par la rapidité avec laquelle elle est devenue une vraie judoka en seulement deux mois. Les vraies judokates étaient là avec la bouche ouverte : « Comment elle a réussi à devenir un vrai judoka en deux mois ? ».Elle aurait pu participer aux J.O !

 

« Nous avons travaillé chaque soir pour qu’Arienne puisse incarner

non seulement le personnage,

mais aussi l’attitude d’une vraie fille d’Iran»

 

 

Movieintheair :  
Justement, par rapport au judo, on ressent vraiment la force qu'il y a dans ce sport à l'écran. C'est une force à la fois physique et intérieure qui transparaît. Comment avez-vous travaillé au niveau de la narration pour retranscrire cette intensité à l’écran ?


Zar Amir
 : Nous en avons beaucoup parlé. Tout repose sur elle, elle est forte, elle est hyper talentueuse, elle est profonde. Nous avons beaucoup discuté. Comme elle connaissait tout de l'Iran et de ses réalités, je trouvais chaque soir des liens, des ressources pour qu'elle puisse mieux comprendre cette culture, et saisir ce que signifie mettre toute une famille en péril. Que signifie pour une mère de voir son fils grandir, et que représente cet homme qui est tout pour elle ? Car son mari incarne toute une nouvelle génération d'hommes qui ont compris qu'il faut respecter les droits des femmes et les soutenir. Nous avons beaucoup parlé de tout cela.
Avant chaque scène, nous reprenions le texte ensemble, nous discutions de chaque moment, de l'émotion à transmettre. Pendant la scène, je ne lâchais rien, et dès le début, elle m'a dit : « Je dois travailler le judo, l’accent farsi et toute la culture iranienne, mais je te demande juste de ne jamais hésiter à me pousser plus. Ne te dis pas que je suis fatiguée, même si je rate ».  Cette générosité m'a permis de travailler en toute tranquillité avec elle. Il y a des moments pendant le tournage où nous nous arrêtions pour reprendre une petite discussion, juste pour ajuster un mouvement de la main ou ramener une émotion particulière, surtout lors de la scène où elle enlève son voile. Elle m'a fascinée. Vraiment, elle a tout capté.

Le Mag du Ciné : 
Comment avez-vous travaillé cette complicité ? Cela semblait-il facile pour vous au final, avec ce jeu de miroirs intéressant entre les deux personnages, où Maryam, en regardant Leïla, se voit peut-être comme elle était plus jeune, avec ses doutes, et ses rêves non réalisés ?

Zar Amir
 : C'était tout un matériel pour moi, cette histoire de se voir dans le miroir de cette jeunesse déterminée, qu’il fallait retravailler dans ce scénario, et qu’on a retravaillé. Mais j'ai aussi essayé d'interpréter cela dans ma façon de montrer la dureté de ce personnage.
Maryam est devenue dure parce qu'elle a subi des épreuves, elle a porté ce bagage de regrets pendant des années, et elle est même devenue jalouse. Pour moi, c'était cela, elle était vraiment une femme jalouse. Mais surtout, quand on parle de judo, ce sport incarne une attitude, une mentalité de respect. Ce n'est pas comme la boxe. On ne cherche pas à blesser les autres.

Pour moi, Maryam aurait pu être une championne de judo, sa base n'est pas mauvaise, mais elle s'est consumée pendant des années avec ce mensonge, se trahissant elle-même, et elle en a souffert.

Comme Arienne  était vraiment la meilleure partenaire, cela a permis de créer des moments touchants entre nous, même si j'étais aussi réalisatrice et elle actrice. Cela nous a aidées à créer cette relation de respect entre le coach et son judoka. C'était un travail joyeux.

Nous sommes même retournées tourner deux jours supplémentaires pour Maryam, car il manquait encore des moments après la réécriture, parce que le film devait raconter l'histoire de ces deux femmes. Maryam reste un personnage secondaire, mais il est tellement complexe qu'il était difficile de trouver le bon dosage.

 

 « Maryam reste un personnage secondaire,

mais il est tellement complexe qu’il était difficile de trouver le bon dosage»

 

 

Tatami

 

 

Le Mag du Ciné
 : Ce qui ressort à la fin de tout cela, c'est qu'il y a quand même une forme de sororité qui sauve les deux finalement.

Zar Amir
 : 
Elle devient une vraie coach, une vraie sœur.

Movieintheair : 
Comment avez-vous fait pour à la fois jouer et réaliser en même temps ? N'était-ce pas trop difficile de faire les deux ?

Zar Amir
 : Non, je suis un peu habituée à tout faire sur le plateau.
 (rires) Déjà pendant « Les nuits de Mashhad », je n'étais pas censée jouer le rôle de la journaliste. J'étais sur place pour assister Ali Abbasi et coacher les autres acteurs. Et je n'ai pas abandonné ces deux autres rôles quand j'ai commencé à jouer dans le film (rires).
Donc c'était exactement pareil. Je courais tout le temps derrière la caméra et devant la caméra. C'était juste une question de temps, car le tournage était vraiment serré, nous n’avions que 23 jours de tournage, avec un tout petit budget. Il y avait beaucoup d'acteurs, un stade avec tout ce qui concerne le judo et toutes les répétitions de scènes de judo. Nous répétions toute la journée les scènes de judo, tout en gardant l'intensité du jeu, notamment avec les mouvements de caméra. Quand je jouais toutes les scènes en dehors du tatami, c'était compliqué parce qu'il n'y avait pas toujours le temps pour que je joue, que je regarde ce que j'avais fait et que je revienne jouer. On partait souvent sur une seule prise. J'ai pris quand même un très grand risque. Il y avait vraiment peu de temps pour tourner une seconde prise. Donc, j'allais devant la caméra bien organisée, bien décidée de chaque mouvement.


Movieintheair : 
Vous avez fait des répétitions avant le tournage ?


Zar Amir
 : 
Pas vraiment sur le plateau. Mais nous parlions beaucoup, moi avec les autres acteurs en tant que réalisatrice. Je savais exactement ce que nous allions faire. Avec Guy, nous parlions beaucoup de la caméra. Je savais comment ça allait se passer. Je jouais, je regardais, je vérifiais que tout allait bien, puis nous repartions sur le plateau.

Le Mag du Ciné: 
La caméra est très importante dans ce film. Il y a beaucoup de longs plans où l'on suit les personnages dans les couloirs jusque dans les vestiaires, jusqu’au tatami, avec des allers-retours. Même dans le silence, on vous entend marcher, mais on sent que cela travaille dans la tête, que cela réfléchit. On se demande, est-ce qu'elle va réussir à garder la tête froide ?


Zar Amir
 : Nous avons rencontré pas mal de difficultés sur le lieu de tournage. Nous avions notre shot list, notre découpage, mais sur le plateau, surtout pour les scènes de judo, il manquait souvent de la lumière, et il y avait toujours des problèmes à résoudre, car le stade, un peu soviétique, était comme un huis clos, sans assez d'espace pour tout faire.


Le Mag du Ciné : 
Est-ce à cause de cela que vous avez choisi, avec Guy, de tourner en noir et blanc ?

Zar Amir
 : Non, pas du tout, c'était une décision prise dès le début. C'était lié à l'histoire de ces deux personnages qui vivent dans un monde en noir et blanc, fermé, et où elles n'ont pas vraiment le choix : soit rester, soit partir.


Movieintheair  : 
Justement, par rapport au mari (ndlr : joué par Ash Goldeh), est-ce une vision optimiste, réaliste que le mari soutienne ainsi sa femme, qu'il soit derrière elle avec l’enfant ? Est-ce possible aujourd'hui ?

 

 » Je pense qu’on ne peut pas séparer les hommes des femmes.

Je crois que sans les hommes, nous n’existons pas, et sans les femmes,

les hommes n’existent pas non plus »

 

Zar Amir
 : Oui. C'est ce que je disais. Il représente toute une nouvelle génération d'hommes qui soutiennent leurs femmes, comme on l'a vu lors de la révolte des femmes en Iran il y a deux ans.
Je le vois même dans le cinéma. Il y a pas mal de réalisateurs iraniens qui ne veulent plus tourner en donnant une image fausse des femmes voilées alors que ce n'est pas la réalité. Beaucoup d'hommes respectent leurs femmes, leurs décisions de ne pas porter le voile, même si cela met toute une famille en péril pour une décision aussi personnelle que le choix de s'habiller.
De nombreuses femmes dans pas mal de métiers ont été obligées de quitter l'Iran parce qu'elles ne supportaient plus cette situation, et leurs maris les ont accompagnées. Je pense que oui, heureusement, cela change beaucoup. Tous les jours, les mentalités évoluent encore plus.
Pour moi, Leila ne pourrait pas tout faire sans le soutien de son mari avec son enfant. C’est ce que je crois. Je ne suis pas du tout féministe dans un sens extrême. Je pense qu'on ne peut pas séparer les hommes des femmes. Je crois que sans les hommes, nous n'existons pas, et sans les femmes, les hommes n'existent pas non plus. Nous ne pouvons réussir à avancer, à préserver notre liberté, que si nous vivons ensemble, sinon ce n'est pas possible. Et cette histoire, c'est ce qu'on raconte dans Tatami.


Movieintheair : Justement, c'est plutôt un film porteur d'espoir. Espérez-vous que ce film contribue à changer les mentalités ? Avez-vous de l'espoir ?


Zar Amir
 : J'espère que cela touchera les gens. J'espère que cette collaboration entre un Israélien et une Iranienne inspirera d'autres personnes, au-delà de ces deux peuples. Aujourd'hui, nous voyons la guerre partout, à chaque coin du monde, des conflits et des problèmes. Je pense que ce film sera vu par de nombreuses personnes qui en sortiront inspirées. Mais au-delà de cela, l'histoire de l'amitié entre ces deux femmes, de ces deux générations, est vraiment puissante.

 

« J’espère que cette collaboration entre un Israélien et une Iranienne

inspirera d’autres personnes, au-delà de ces deux peuples »

 

 

Movieintheair : Est-ce que vous regardez certains films ou séries ?

Zar Amir
 : 
Je n’ai pas le temps ! Mais il y a quelques jours j'ai commencé à regarder ce documentaire sur Netflix « My Octopus Teacher ». Cela se passe en Afrique du Sud, c'est incroyable. Mais je me suis endormie au milieu (rires)...


Movieintheair  : Quels sont vos projets ?

Zar Amir
 : J'ai un film qui sort bientôt à Angoulême dans une semaine, « L’effacement » de Karim Moussaoui. Je suis en pleine écriture et en recherche de financement de mon prochain long-métrage (Honor of Persia). Et je viens de terminer le tournage d'un film franco-arménien (ndlr : « Sauver les morts ») de Tamara Stepanyan, une réalisatrice arménienne qui habite en France, avec Camille Cottin.


Le Mag du Ciné : 
 De mon côté j'ai noté Reading Lolita in Tehran


Zar Amir
 : Oui, cela a été tourné l'année dernière. Nous attendons la sortie. C'est aussi réalisé par un Israélien, Eran Riklis.

Le Mag du Ciné & Movieintheair : Nous avons hâte de voir ces films. Nous espérons que « Tatami » connaîtra un grand succès et attirera beaucoup de spectateurs.


Zar Amir
 : Merci ! On compte sur vous !




Tatami

 

Tatami, de Guy Nattiv et Zar Amir

Synopsis

La judokate iranienne Leila (Arienne Mandi) et son entraîneuse Maryam (Zar Amir) se rendent aux Championnats du monde de judo avec l'intention de ramener sa première médaille d'or à l'Iran. Mais au cours de la compétition, elles reçoivent un ultimatum de la République islamique ordonnant à Leila de simuler une blessure et d’abandonner pour éviter une possible confrontation avec l’athlète israélienne.
Sa liberté et celle de sa famille étant en jeu, Leila se retrouve face à un choix impossible : se plier au régime iranien, comme l'implore son entraîneuse, ou se battre pour réaliser son rêve.

Avec Arienne Mandi (Leila Hosseini), Zar Amir (Maryam Ghanbari), Jaime Ray Newman (Stacey Travis), Nadine Marshall (Jean Claire Abriel), Lir Katz (Shani Lavi), Ash Goldeh (Nader Hosseini), Valeriu Andriuta (Vlad), Mehdi Bajestani (Amar Hosseini), Farima Habashizadehasi (Justina), Elham Erfani (Assistante coach).




En salle dès le 4 septembre.

Bande-annonce

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