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Coline Serreau, sa belle histoire

 

 

La belle histoire de Coline Serreau

 

 

 

Depuis le 23 octobre 2023, Coline Serreau est seule en scène au Théâtre Michel à Paris.

L’histoire d’une vie de rencontres, de créations, de joies et d’émotions.

Fille de l’écrivaine Geneviève Serreau et du metteur en scène Jean-Marie Serreau, Coline Serreau a d’abord voué une passion au chant et à la musique.

Dans son spectacle, elle raconte son premier feuilleton rémunéré vingt centimes la page, l’école où enfant, elle a appris à voyager dans les arbres, son numéro de trapèze, les danseurs hip hop qui révolutionnent l’Opéra Bastille, les coulisses de Trois hommes et un couffin, son prochain film où elle épingle les écolos-machos et les travers des spectacles subventionnés…

C’est après avoir vu son spectacle, que j’ai adoré et que je vous recommande alors que les fêtes approchent, que j’ai voulu interviewer la grande Coline Serreau, trapéziste, réalisatrice, scénariste, écrivaine, comédienne, metteuse en scène, compositrice, et cheffe de choeur.

 

De retour du Festival de Pessac qui avait cette année pour thème « Notre Terre » où elle y présidait le Jury, Coline Serreau s’est prêtée au jeu de l’interview pour Movieintheair.

 

 

Interview avec Coline Serreau

à l’affiche du spectacle « La Belle Histoire » au Théâtre Michel

 

 

Movieintheair : Bonjour Coline Serreau, après avoir vu votre spectacle où tous les arts sont représentés, je me suis demandée ce qui faisait qu’on passait d’un art à un autre ?

 

COLINE SERREAU : On est tellement formatée à n’être qu’une seule chose mais j’ai été élevée dans une très grande liberté.

Et je pense qu’on est, particulièrement les femmes, totalement différentes, mais à l’intérieur de nos vies il y a une totale biodiversité aussi. Nous sommes multitâches. On le sait parce qu’on nous a cantonnées dans la sphère privée avec le ménage, la cuisine, les enfants et donc on sait faire cinquante mille choses à la fois.

Et puis j’ai toujours eu tous les arts en moi, je les ai aimés, j’ai aimé les pratiquer et je les ai pratiqués sans entrave, sans me dire « je suis ceci ou je suis cela ».

J’étais multitâche, multi-intérêts, multi-tout.

 

Movieintheair : Quelles étaient vos sources d’inspiration, pour passer d’un art à un autre ?

 

COLINE SERREAU : La source d’inspiration principale, c’est le sens.

C’est exactement comme un musicien. Un musicien n’écrit pas tout le temps pour un orchestre symphonique. Un musicien, il écrit tout d’un coup parce qu’il a cette inspiration là. Il va peut-être choisir un concerto pour piano ou une lyre ou une chanteuse…Tout dépend de ce qu’on a envie de dire.

J’avais envie de dire des choses par la photo, par la peinture, et il y avait une expression dans le corps et dans la danse qui exprimaient une vitalité, le théâtre aussi. J’essayais d’être excellente dans tout, c’est-à-dire de travailler.

Chaque chaque art pouvait exprimer des choses différentes et j’avais envie d’exprimer des choses avec ces arts là.

 

« Notre biodiversité intérieure »

 

 

Movieintheair : Est-ce que cela a été difficile de s’imposer en tant que femme cinéaste ?

 

COLINE SERREAU : Les femmes ont eu beaucoup mais l’ont de moins en moins le syndrome de l’imposteur.

Elles se disent  « Non non je suis pas légitime, je ne suis pas aussi forte qu’eux » (cf les hommes), « je sais pas faire ça » et cetera, ce qui est totalement faux. On est totalement légitime dans tout ce qu’on a envie de faire et on n’a pas la même culture qu’eux (les hommes) et on a pas les mêmes choses à dire qu’eux.

C’est des cultures différentes, c’est de la biodiversité encore une fois.

Ça n’empêche pas leur légitimité, mais en aucun cas elle ne peut nier la nôtre.

Donc évidemment que ça a été difficile au début, mais je crois que c’est difficile pour tous les cinéastes.

Je pense que c’était encore plus difficile parce qu’au début, dans les années 70, on filmait en argentique.

Donc on n’avait pas cette facilité là  qu’aujourd’hui, n’importe qui a la possibilité avec son téléphone de faire un très beau film en 4K. En plus,  il y a des logiciels de montage.

À l’époque il fallait des tables de montage. C’était très cher, donc c’était très difficile.

Mais je me suis toujours sentie légitime, non pas par arrogance, mais par ce que j’avais à dire, je savais que c’était important. Et puis c’est tout.

 

« La culture de la liberté »

 

 

Movieintheair : Justement, vous étiez très en avance sur l’époque, dans tous vos films, vous êtes environ en avance de dix ans. Comment  arrivez-vous à sentir ce qui va se dégager de l’ère du temps ?

 

COLINE SERREAU : Il faut beaucoup de travail, une très forte culture de la liberté et de l’analyse des sociétés.

J’ai énormément lu toutes sortes de livres qui pouvaient me donner des clés sur l’organisation du monde, en géopolitique, en politique, la psychanalyse, le marxisme, le féminisme. Et les penseurs en philosophie et tous les arts parlent.

En creusant, en cherchant tout le temps, en lisant, on finit par rassembler les informations et en extraire ce qui nous semble juste.

En même temps, il y a aussi toute une partie d’analyse personnelle.

Mais ce n’est pas une question seulement d’intuition, vous voyez, c’est toute une formation et aussi le fait d’avoir expérimenté cette liberté au débute ma vie dans cette école (ndlr :Marguerite Soubeyran ouvre à Dieulefit dans la Drôme l’école Beauvallon, un lieu d’apprentissage alternatif pour tous les enfants « blessés de la vie », une école de la liberté).

Car la tendance de cette société est de nous dominer, dominer celui-ci, de dominer celui-là. Et ça, je ne l’ai jamais acceptée. Donc, tous les systèmes de domination, je les vois, je les sens et je sens aussi leur chute. 

 

Movieintheair : Dans votre oeuvre, que ce soit dans les films, le théâtre ou la mise en scène d’opéra, dans tout ce que vous racontez, il y a beaucoup d’engagement mais il y a aussi beaucoup de poésie. D’où vient-elle ?

 

COLINE SERREAU : L’art est poétique. Sinon ça devient du documentaire politique pénible non ?

Je suis intéressée par le beau qui accompagne une proposition.

La poésie, c’est la proposition par rapport au réel qu’on ne supporte plus. La poésie, l’humour, la beauté, ce sont aussi des armes politiques.

Le monde peut être beau, il est beau.

C’est marrant dans le spectacle,  je présentais « La belle verte ». Il y a une dame qui me dit « Donnez-moi l’adresse de cette planète, je vais y aller » et je lui ai dit « Mais vous êtes dessus. Elle peut être extrêmement belle et ouvrez les yeux sur la beauté, elle est partout ».

Et l’horreur aussi. Mais il ne tient qu’à nous que de faire triompher cette beauté… Elle est là, cette planète verte.

 

« Le monde peut être beau, il est beau »

 

 

Movieintheair : Que diriez-vous à quelqu’un qui veut se lancer dans les arts aujourd’hui ?

 

COLINE SERREAU : Apprendre, apprendre dans tous les domaines.
Ce peut être cultiver son corps, aller dans des cours de théâtre, faire une école de cinéma… Il y a plein de choses.

Et puis,  si c’est fermé, faire soi-même, mais continuer d’apprendre, de travailler, comprendre pourquoi et comment est le beau. C’est plus qu’un travail, il y a l’instinct et puis il y a aussi la connaissance mais de toutes façons, personne ne vous donne la main au début. Il faut faire soi-même.

 

Movieintheair : Les années 70, 80 étaient-elles plus propices à l’art et à la création qu’aujourd’hui ?

 

COLINE SERREAU : Non. Toutes les époques sont propices à l’art à partir du moment où on s’y attelle, où on en a envie et où on est poussée par une telle nécessité qu’on le fait.

Toutes les époques ont été difficiles, il y a eu des moments en Italie où on commandait des oeuvres tout le temps, donc cela a donné naissance à des génies incroyables.

Mais quand on veut vraiment être un artiste, s’il y a une une profonde nécessité vitale, on y va. C’est tout, on n’a pas le choix.

 

« Écrire des histoires »

 

 

Movieintheair : Pour des artistes comme Eddy de Pretto, le besoin de la scène naît avant l’écriture. Est-ce la même chose pour vous ? Ou les deux sont-ils liés ?

 

COLINE SERREAU : Tout est lié. La scène c’était le départ. J’étais très jeune sur scène et c’était un endroit où j’étais comme à la maison. Je suis une fille de gens de scène, de théâtre.

J’ai toujours vécu dans, ou près des théâtres. 

Mais le cinéma était aussi une passion. Parce qu’au cinéma, vous avez tout et puis j’adorais écrire les histoires, c’était un ensemble. Je n’ai jamais quitté la scène d’ailleurs. Et je n’ai jamais quitté le cinéma ni la photo.

Je ne pense pas qu’il faille renoncer à quoi que ce soit. Quand on commence à vous dire qu’il faut renoncer à quelque chose, méfiez-vous. Et puis j’ai toujours écrit. J’ai toujours écrit des histoires.

 

Movieintheair : Tout ce que vous faisiez était très physique. Comment avez-vous fait pour concilier votre vie personnelle avec votre vie d’artiste ? J’ai entendu dans une interview que vous aviez donnée à France Musique que vous avez fait du trapèze jusqu’à soixante ans.

 

COLINE SERREAU : Oui c’est vrai. C’est très compliqué de concilier sa vie personnelle avec sa vie d’artiste, surtout pour les femmes.

J’ai eu trois enfants que j’ai élevés avec beaucoup de soin. Il fallait jongler tout le temps. C’est aussi pour cela qu’il fallait que je sois une athlète, sinon je me serais écroulée. J’ai été très aidée par les femmes. Il faut choisir les bonnes personnes qui vous aident et savoir ce que l’on doit aux gens qui vous aident.

Eux aussi deviennent des créateurs avec vous, parce que sans eux vous ne pouvez rien faire. Surtout quand mon travail est devenu particulièrement frénétique, que je tournais la journée et je jouais le soir.

Et il y a eu des années de tournages, de tournées en théâtre, puis l’écriture. Je me suis organisée pour être aidée par des gens formidables – mes parents étaient morts depuis longtemps- qui étaient comme une famille élargie, une tribu.

Avec mon mari (Benno Besson, acteur et metteur en scène de théâtre suisse aux côtés de Bertold Brecht ndlr), nous n’étions pas un petit couple refermé sur lui-même, lui de toutes façons était sans arrêt en déplacement dans toute l’Europe.

Nous avons énormément trimballé les enfants, ils ont été scolarisés à peu près dans tous les pays d’Europe.

On est aussi restés cinq ans en Amérique et ils ont été scolarisés là-bas.

Nous étions des artistes nomades et les enfants cela les a énormément enrichis.

 

« Il y avait une solidarité familiale »

 

Movieintheair : Donc il y avait une solidarité féminine autour de votre profession ?

 

COLINE SERREAU : Une solidarité familiale. Les personnes faisaient partie de mon équipe, elles étaient créatives aussi.

Mais j’étais très présente. Parfois quand j’y pense je me demande comment j’ai fait. Les enfants me disent tous que si c’était à refaire, ils voudraient bien recommencer. Donc ça va. Bien sûr ce n’était pas toujours Disneyland…Je leur ai aussi prodigué un enseignement musical qui prenait beaucoup de temps. Il y avait de grosses contrainte.

 

Movieintheair : Pour en revenir aux femmes, vous leur conseillez de faire du sport pour se sentir bien ?

 

COLINE SERREAU : Surtout il faut qu’elles se sentent légitimes dans tout ce qu’elles font.

Et si elles veulent rester à la maison et s’occuper des enfants et bien c’est tout aussi légitime.
Toutes les activités humaines sont belles à partir du moment où elles sont désirées et pas subies pour des questions économiques.

Il n’y a pas de règle, tout le monde est libre. Il faut analyser sa vie. Si on subit les choses économiquement c’est dur à vivre. Et c’est le cas pour beaucoup de femmes.

 

Movieintheair : Y a-t-il des artistes -vivants- que vous admirez ?

 

COLINE SERREAU : Je ne réponds jamais à cette question car si je nomme des gens j’en exclus d’autres et je n’aime pas faire ça.

D’autre part, je sais que faire un film c’est difficile. Je n’aime pas me placer au-dessus des autres.

Je dis toujours que les films passés, les films présents et les films futurs sont tous géniaux.

 

Movieintheair : Est-ce que vous avez des écrivains que vous aimez particulièrement, dont les livres sont sur votre table de chevet et sources d’inspiration ? J’imagine que vous aimez beaucoup la poésie aussi…

 

COLINE SERREAU : Oui dans la poésie, il y a Henri Michaux.

Et puis j’aime les grands romanciers du XIXème. Ils m’ont beaucoup inspirée. Les contes, la mythologie et la Bible, surtout l’Ancien Testament sont des sources d’histoires extraordinaires, très violentes, de très beaux scénarios.

 

 

Movieintheair : Vous qui avez toujours dix ans d’avance, quelles sont vos prédictions sur la planète ?

 

COLINE SERREAU : Il y aura toujours des gens qui trouvent des solutions sur le moment mais ce sera très difficile, parce qu’il y a des situations d’écarts de richesses beaucoup trop grandes et pas de redistribution correcte.

Il y a eu une exploitation systématique de tellement de pays de toutes leurs ressources. Sans parler bien sûr de la situation climatique, parce qu’il va y avoir des réfugiés climatiques de plus en plus nombreux.

Donc on ne va pas vers des jours tellement rigolos.

Les gens trouveront des solutions personnelles mais il va devoir y avoir une plus grande répartition donc un appauvrissement général. Cela passera peut-être par des épisodes de guerre civile très durs parce qu’il y aura des résistances.

Mais de toutes façons, il faudra bien en passer par une répartition différente des richesses entre les humains ou ou alors ils disparaîtront, ce qui ne sera pas une catastrophe.

Les animaux et les plantes feront « ouf », ils pourront souffler un peu ce ne sera pas plus mal. 

 

Movieintheair : Après « Le Festival de Pessac » où vous avez été Présidente du Jury, vous continuez le spectacle « La Belle Histoire  » au Théâtre Michel à Paris. Quelles sont les prochaines dates ?

 

COLINE SERREAU : Nous reprenons avec de nouvelles dates, les 11 et 18 décembre.

Puis reprise tous les lundis à partir du 15 janvier jusqu’au 25 Mars, à 20h au théâtre Michel.

Donc le spectacle marche et c’est formidable !

 

Movieintheair : C’est un très beau spectacle.  Merci beaucoup pour cette interview.

 

COLINE SERREAU : Merci à vous.

 

 

Lien vers le théâtre Michel

 

Extrait du spectacle « La Belle Histoire »

 

 

 

Autobiographie: Coline Serreau #COLINESERREAU aux Éditions Actes Sud.

 

Dix faits sur Coline Serreau : Bio Coline Serreau

 

Son premier film « Qu’est-ce qu’elles veulent » : Huit femmes évoquent tour à tour leur destin, leur vécu, leurs souffrances, leurs revendications et leurs espoirs.

 

 

Sur votre blog : Les droits des femmes au cinéma

 

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