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Dreams in nightmares : un road-movie queer radical et sensoriel

Dreams in Nightmares : un road-movie queer qui déconstruit les codes du cinéma indépendant

Vu au Publicis, Dreams in Nightmares est en compétition américaine du Champs Élysées Film Festival

Un road-movie queer sans intrigue classique

Trois femmes noires, queer, trentenaires, prennent la route dans le Midwest américain pour retrouver une amie disparue. Mais très vite, l’enquête cède la place à une dérive : une traversée intérieure, rythmée par les silences, les tensions, et les absences plus que par les dialogues. Shatara Michelle Ford, remarquée avec Test Pattern, délaisse ici les conventions dramatiques pour composer un récit fragmenté, suspendu, qui ne cherche ni résolution ni vérité, mais un espace à habiter.

Une disparition comme moteur narratif

Le film s’ouvre sur un manque, celui de Lauren – ou peut-être Tasha – disparue volontairement. Z et Kel, ses amies, la cherchent sans vraiment la poursuivre. Elles prennent la route avec Dezi, mais ne suivent aucun plan. Le territoire qu’elles traversent ne répond pas à une logique géographique, mais mentale. Les lignes droites du Midwest enferment davantage qu’elles n’ouvrent. Les stations-essence, les diners, les routes vides, tracent un pays où le corps noir queer reste illégitime, même lorsqu’il ne réclame rien.

Le poids de l’histoire : mémoire raciale et rêve brisé

Ce que Ford met en scène, c’est moins une disparition qu’un refus de rester visible. Lauren a fui, non par caprice, mais parce que rien ne lui permettait d’exister pleinement. Son départ devient alors un rêve, ou un cauchemar, que le film ne cesse d’interroger. Z semble hantée par l’absence. Ce qu’elle poursuit, ce n’est pas une amie, c’est la possibilité d’un lien qui ne soit ni assigné, ni aliéné. Mais le rêve échoue. L’héroïne bute sur son passé, sur des souvenirs qui ne se disent pas, sur une histoire plus vaste que la sienne.

Car Dreams in Nightmares parle aussi de cela : d’un pays fondé sur une violence que le cadre tente de gommer, mais que le film fait ressurgir. Le drapeau américain apparaît brièvement, taché. Ce rouge, ce bleu, ce blanc : autant de couches posées sur le sang noir versé. L’esclavage, jamais nommé, irrigue pourtant chaque plan, chaque silence. L’histoire collective s’inscrit dans les gestes privés. Le rêve américain, ici, n’a jamais été accessible.

Une mise en scène sensorielle de l’amour queer

Et pourtant, ce film refuse le pathos. Ford choisit la douceur, la lenteur, le détour. L’amour queer, loin des récits de souffrance, prend ici une forme sensuelle, joyeuse, quotidienne. Les scènes de tendresse, les rires, les gestes familiers entre les femmes, composent une réponse politique. Ford ne filme pas l’identité comme une plaie à refermer, mais comme un terrain à réinventer. Il ne s’agit pas de guérir, mais de créer une langue, un lien, un espace de reconnaissance.

Caméra douce, lumière organique : une esthétique du retrait

Le travail de Ludovica Isidori à la photographie prolonge ce geste. La lumière épouse les corps sans les objectiver. La caméra suit sans dominer. Chaque plan respire. Le cadre ne contraint pas, il accompagne. La bande-son, discrète, soutient ce mouvement. Pas de mélodie imposée, pas de ponctuation dramatique : un rythme souple, fragmenté, ouvert.

Un film queer sans résolution ni arc dramatique

Le film ne propose pas de catharsis. Il ne construit aucun arc narratif. Il présente un moment, une fracture, une tentative de relier des points sans garantie d’y parvenir. Cette structure sans finalité explicite pourra déconcerter. Mais elle correspond au projet : Dreams in Nightmares refuse les récits de réparation. Il choisit l’inachevé, le trouble, l’imparfait.

Seule limite : le personnage de Dezi, moins fouillé, reste en périphérie. Mais ce déséquilibre n’affaiblit pas le film. Il dit quelque chose de la fragilité des liens, de leur porosité, de leur instabilité.

Un film indépendant rare et sans concession

Dreams in Nightmares magnifie l’amour queer sans jamais l’enfermer dans un programme. Il met les drames de côté pour mieux faire sentir ce qui travaille en profondeur : la mémoire, le deuil, le besoin d’une autre narration. Un film rare, qui fait du retrait une force, du flou une méthode, et du silence une vérité plus tranchante que n’importe quel discours.

Mon coup de coeur.

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