La Chambre d’à côté : un très grand film de Pedro Almodóvar avec Julianne Moore et Tilda Swinton
Date de sortie en France : 8 janvier 2025
Réalisateur : Pedro Almodóvar
Casting principal : Julianne Moore, Tilda Swinton, John Turturro, Alessandro Nivola
Distinction : Lion d’or à la Mostra de Venise 2024
Avant-première parisienne de La Chambre d’à côté
Le 16 décembre 2024, Pedro Almodóvar, Julianne Moore et Tilda Swinton ont assisté à l’avant-première de leur film La Chambre d’à côté au Pathé Palace à Paris. Le trio a affiché une grande complicité sur le tapis rouge, témoignant de leur étroite collaboration sur ce projet.
J’ai eu la chance d’y assister aussi, invitée par le Club AlloCiné. La projection a été suivie par un Q&A passionnant.
Synopsis La Chambre d’à côté
Adapté du roman américain Quel est donc ton tourment ? (What Are You Going Through) de Sigrid Nunez, La Chambre d’à côté aborde des thématiques universelles comme la rédemption, le remords et la mortalité.
Ingrid (Julianne Moore) et Martha (Tilda Swinton), amies de longue date, ont débuté leur carrière au sein du même magazine. Lorsqu’Ingrid devient romancière à succès et Martha, reporter de guerre, leurs chemins se séparent. Mais des années plus tard, leurs routes se recroisent dans des circonstances troublantes…
Ensemble, elles explorent les méandres de leur passé et les enjeux de leur avenir dans des conversations empreintes d’émotion.
Un succès à la Mostra de Venise
Présenté en compétition officielle à la Mostra de Venise 2024, La Chambre d’à côté a reçu une ovation de 17 minutes et remporté le Lion d’or, faisant de Pedro Almodóvar le premier réalisateur espagnol à obtenir cette distinction. Ce film marque une étape importante dans sa carrière, alliant émotion et subtilité.
Les influences artistiques d’Almodóvar
Fidèle à son style, Almodóvar enrichit son film de références littéraires et cinématographiques :
- Les Morts de James Joyce et son adaptation par John Huston,
- Voyage en Italie de Roberto Rossellini,
- Mao II de Don DeLillo,
- La dolce vita de Federico Fellini,
- et les écrits de Virginia Woolf.
« La Chambre d’à côté » : Almodóvar face à l’essentiel
En 2024, Pedro Almodóvar a publié Le Dernier Rêve, un recueil de nouvelles décrit comme une « autobiographie fragmentaire ».
Mais c’est surtout avec La Chambre d’à côté, son premier long-métrage tourné en anglais, qu’il franchit une nouvelle étape dans sa carrière. Adapté du roman What Are You Going Through de Sigrid Nunez, le film réunit Julianne Moore et Tilda Swinton dans une œuvre profondément méditative où la mort, omniprésente dans l’œuvre du réalisateur, est abordée avec une retenue inédite.
Cependant, ce tournant vers l’introspection ne date pas d’hier : Douleur et gloire (Pain & Glory, 2019), avec son récit autobiographique mêlé de souvenirs, de maladie et de réconciliation, marquait déjà un jalon. Ce film ouvrait la voie à une réflexion plus intime sur la mémoire et la finitude. Strange Way of Life, son court-métrage présenté à Cannes en 2023, explorait également les regrets et les adieux à travers la figure du western, genre classique associé à la fatalité et au destin.
Avec La Chambre d’à côté, Almodóvar pousse cette exploration encore plus loin.
L’amitié comme dernier refuge
Les femmes sont toujours au cœur du cinéma d’Almodóvar. Elles portent des secrets, des blessures et des drames familiaux, mais elles trouvent la force de se reconstruire. Le réalisateur a exploré la maternité sous toutes ses formes dans Talons aiguilles (1991), Tout sur ma mère (1999), Volver (2006), La Fleur de mon secret (1995) et Julieta (2016).
Il a également filmé des amours passionnés et ambivalents, comme dans La Loi du désir (1987), Julieta ou Parle avec elle(2002). Mais ces histoires sont souvent marquées par des écarts d’âge ou des relations complexes.
Dans La Chambre d’à côté, Almodóvar raconte une autre forme d’amour : l’amitié, dans ce qu’elle a de plus dépouillé. Martha (Tilda Swinton), atteinte d’un cancer en phase terminale, demande à Ingrid (Julianne Moore), une amie de longue date qu’elle n’avait pas revue depuis longtemps, de l’accompagner dans ses derniers instant
La mort comme un acte de liberté
La mort a toujours plané dans l’œuvre d’Almodóvar, mais elle n’avait jamais été montrée avec autant de sobriété.
Dans Tout sur ma mère, la perte d’un enfant déclenche un parcours vers le pardon et dans Parle avec elle, la frontière entre la vie et la mort est floue, interrogeant notre capacité à rester présents pour ceux qui sont déjà « ailleurs ». Avec Volver, la mort est presque familière, douce : elle devient une continuité, et les morts ne quittent jamais complètement les vivants.
Mais dans La Chambre d’à côté, la mort est un choix. Martha refuse d’en être la victime et veut reprendre le contrôle sur son départ. Ce choix rappelle Amour de Michael Haneke, mais là où Haneke impose une froideur implacable, Almodóvar choisit une lumière douce et réconfortante. Ici, la mort est un adieu lucide, empreint de dignité et de tendresse.
Une mise en scène minimaliste
L’esthétique d’Almodóvar est souvent synonyme de couleurs éclatantes et de décors remplis de souvenirs. Ici, tout est minimaliste. Les pièces sont grandes, presque vides. Les dialogues sont réduits à l’essentiel. Le silence a un poids immense.
Julianne Moore et Tilda Swinton interprètent leurs rôles avec une retenue remarquable. Leurs personnages n’ont plus besoin de grandes déclarations : tout est dans les regards et les gestes. Cette sobriété peut désorienter : on observe de loin, presque en retrait. Mais ce dépouillement rend leur histoire universelle.
Les influences : Joyce, Huston et Rossellini
Le film fait explicitement référence à Les Gens de Dublin (The Dead, 1987) de John Huston, adapté de la nouvelle de James Joyce. Huston, lui-même en fin de vie lors du tournage, raconte un banquet où la mémoire et la mort sont omniprésentes. La scène finale, où la neige tombe indistinctement sur les vivants et les morts, souligne que nous partageons tous le même destin.
Almodóvar reprend cette idée en filmant des moments simples : une conversation sous un arbre, un silence partagé devant un paysage. Comme chez Huston, la vie continue de vibrer, même au bord de la fin.
On retrouve également un clin d’œil à Voyage en Italie (1954) de Roberto Rossellini, où un couple redécouvre son lien en visitant des ruines antiques. Ici aussi, les souvenirs ressurgissent à travers des lieux presque immuables, tandis que les personnages évoluent vers l’acceptation de l’inévitable.
Les couleurs : lumière et seuils
Le jaune est omniprésent dans le film. Ce n’est pas un jaune éclatant ou joyeux, mais une teinte douce et chaude, comme une lumière de fin d’après-midi. Il évoque la chaleur des souvenirs et les instants suspendus entre deux êtres.
Le rouge, plus discret, agit comme une balise. La porte entrouverte rouge n’est pas seulement un passage vers la mort, mais aussi une ouverture vers la mémoire. Contrairement aux rouges flamboyants de Talons aiguilles ou Parle avec elle, ce rouge-là est feutré, presque effacé, comme un murmure du passé.
Un film sur la présence, pas l’adieu
Ce film m’a marquée par sa simplicité et sa sincérité. Almodóvar ne cherche pas à créer des adieux grandiloquents, mais à montrer ce que signifie « être là ». Ingrid ne cherche pas à convaincre ni à retenir Martha. Elle reste, tout simplement.
C’est un film qui interroge : comment accompagne-t-on quelqu’un sans chercher à l’en détourner ? Quelle force faut-il pour accepter, sans fuir, la fin d’un être aimé ? Almodóvar pose ces questions sans donner de réponses, seulement des fragments d’humanité capturés dans un cadre délicat et dépouillé.
Conclusion
La Chambre d’à côté n’est seulement pas un film sur la mort, mais sur l’amour dans sa forme la plus pure : être là. Sans chercher à sauver, sans chercher à combler le vide. Juste rester, jusqu’au bout.
Contrairement aux effusions et aux drames flamboyants des premiers Almodóvar, ici, tout est contenu. Pas de grandes déclarations ni de réconciliations spectaculaires, mais une présence silencieuse qui en dit plus que mille mots. Ce n’est pas un adieu théâtral : c’est un dernier geste d’amour, intime, sans éclat.
Ce film me touche parce qu’il raconte ce qu’on ne sait jamais comment affronter : laisser partir ceux qu’on aime. Almodóvar ne cherche pas à apaiser ni à rendre la mort poétique. Il nous dit simplement que l’on peut être là, que l’on doit être là, même quand il ne reste plus rien à dire.
C’est pour cela que ce film est devenu mon préféré. Il dit tout sans le dire, et c’est ce silence-là qui résonne longtemps après.
À venir
L’actrice britannique Tilda Swinton sera honorée de l’Ours d’or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière lors de la Berlinale 2025.
Pedro Almodóvar a récemment exprimé son désir de collaborer avec la chanteuse et actrice Dua Lipa, la considérant comme une potentielle « chica Almodóvar ». Le réalisateur admire sa polyvalence et son engagement culturel, et envisage de lui offrir un rôle dans ses prochains projets cinématographiques.
Interview
Bande-annonce
Décès de Marisa Paredes
Le 17 décembre 2024, Almodóvar a exprimé sa profonde tristesse suite au décès de l’actrice Marisa Paredes, décédée à l’âge de 78 ans. Considérée comme l’une de ses muses, Paredes a collaboré avec lui sur six films emblématiques, dont Tacones lejanos et La flor de mi secreto. Almodóvar a déclaré : « Marisa est une partie intégrante de ma vie ».