Films queer marquants au CEFF 2025
Quatre récits d’âge, de désir et de résistance vus parmi les films queer du Champs-Élysées Film Festival.
Pourquoi les films queer du Champs Élysées Film Festival 2025 ont marqué les esprits
Vu au Publicis et au Mac Mahon, ce programme thématique réunit quatre films séparés par quarante ans mais reliés par une même intuition : l’âge n’est pas une chute mais une ouverture. Vieillir queer, c’est habiter enfin son corps, refuser les récits imposés, créer sa propre temporalité. Quatre gestes de cinéma, quatre manières d’aimer au-delà des normes : Desert Hearts, Stress Scars & Pleasure Wrinkles, Des preuves d’amour et Dreams in Nightmares.
Desert Hearts : l’amour lesbien à quarante ans
Il y a dans Desert Hearts quelque chose d’inouï, même quarante ans après.
Un film de 1985, tourné par Donna Deitch, sur l’amour entre deux femmes, sans drame, sans punition, sans chute. Vivian, universitaire new-yorkaise fraîchement divorcée, débarque dans un Nevada aride pour tourner la page. Elle y rencontre Cay, plus jeune, plus libre, plus directe. Le désir est immédiat, mais la mise en scène refuse la hâte. Tout est affaire de regards, d’espaces partagés, de silences qui se tendent.
Donna Deitch filme l’éveil d’une femme adulte à son propre désir. Le film n’idéalise pas l’amour lesbien, il le rend possible. À quarante ans, Vivian découvre qu’aimer est encore à venir.
Il ne s’agit pas de réparer une vie, mais d’en ouvrir une autre. La beauté du film tient à cette simplicité : l’âge n’est pas un obstacle, mais une chance. Vieillir, ici, c’est s’affranchir. La lumière, le désert, la lenteur du montage : tout dans Desert Hearts suggère une sensualité tardive mais pas moindre. Le film ne cherche pas à “rendre visible” le lesbianisme ; il le rend évident. Un pur chef d’oeuvre.
Barbara Hammer : corps queer, corps‑mémoire
Chez Barbara Hammer, pas de fiction. Son corps est le sujet, le médium et la matière. Elle filme ses cicatrices, ses rides, ses souvenirs de plaisir comme d’autres filment des paysages. Ce court-métrage de 1976 est brut, frontal, charnel. Mais il ne choque pas. Il déplace. Le vieillissement n’est pas ici une déchéance à dissimuler, mais un territoire à explorer. Chaque pli, chaque trace, devient le signe d’une histoire : vécue, assumée, incarnée. La caméra tremble parfois, mais jamais ne recule. Elle avance dans le corps comme dans une autobiographie sans mots.
Ce qui frappe, c’est le refus de l’explication. Pas de voix off didactique, pas de discours militant. Juste un montage, des textures, un rythme. Hammer invente un cinéma queer de l’intérieur, sans narration extérieure, sans justification. Le corps n’est pas montré, il se montre. L’âge n’est pas problématisé, il est vécu. En dix-sept minutes, le film condense une esthétique du temps long, une politique de l’intime.
Des preuves d’amour : devenir mère sans enfant, avec Monia Chokri et Noémie Lvovsky.
Premier long d’Alice Douard, Des preuves d’amour se situe ailleurs : dans la France d’après-mariage pour tous, dans un présent où les droits ne garantissent ni reconnaissance ni évidence. Céline n’est pas enceinte, mais elle attend un enfant : sa femme, Nadia, porte leur fille. Le film suit cette attente invisible, cette gestation secondaire, cette position floue qu’aucune loi ne protège vraiment. Elle est mère, mais rien ne le prouve. Elle aime, mais cela ne suffit pas.
La réalisatrice filme une persistance. Les gestes du quotidien, les maladresses, les regards de travers. La caméra est douce, proche, sans pathos. Il ne s’agit pas de dénoncer, mais de documenter. Ce que le film met en scène, c’est l’incertitude : juridique, affective, existentielle. Le personnage de Céline, interprété par Ella Rumpf avec une finesse rare, incarne cette maternité queer sans repères, sans modèle, sans évidence.
Là encore, vieillir n’est pas se fixer. C’est se chercher. Le film ne résout rien, mais accompagne. Il montre une autre manière d’habiter l’adulte, de construire une famille, de faire lien sans assignation. Un geste politique doux, mais ferme : montrer l’ordinaire comme lieu de résistance
Dreams in Nightmares : film queer primé au Champs Élysées Film Festival
Trois femmes noires, queer, trentenaires, prennent la route dans le Midwest pour retrouver une amie disparue. Ce pourrait être un thriller, une quête. Mais Shatara Michelle Ford refuse la structure classique.
Le film dérive, s’éloigne, bifurque. Ce qu’elles cherchent n’est pas un corps, mais un espace. La route n’est pas un progrès, mais un labyrinthe. Les stations-essence, les champs, les routes vides dessinent un pays où le corps noir queer reste sans lieu. Ford ne filme pas la disparition comme un mystère à résoudre, mais comme un cri étouffé, une absence constitutive.
Et pourtant, entre ces silences, entre ces creux, une sensualité affleure. Un toucher, un regard, un rire. L’amour queer n’est pas nié, il est enfoui. Ford refuse de le dramatiser. Elle l’inscrit dans l’organique, dans l’ordinaire, dans le flou. Ce que le film trace, ce n’est pas une enquête. C’est une mémoire. Le rêve américain, ici, est un cauchemar, mais un cauchemar où l’on s’attache, malgré tout.
Ce geste audacieux a été salué par le jury presse du CEFF : Brigitte Baronnet (Allociné), Frédéric Mercier (Positif, Transfuge, Canal+) et Raphaëlle Pireyre (AOC) lui ont décerné le Prix de la Critique du Meilleur Long Métrage Américain.
Une autre temporalité queer
Ce qui relie ces quatre films, malgré leurs formes et leurs époques, c’est un refus commun : celui de se plier à une temporalité dominante.
Pas d’arc dramatique dans Desert Hearts, pas de début-milieu-fin dans Stress Scars, pas de triomphe dans Des preuves d’amour, pas de clôture dans Dreams in Nightmares. Chacun déplace les attentes. Vieillir queer, ici, ce n’est pas seulement survivre. C’est inventer. Un lien, un corps, un récit.
Chacun affirme, à sa manière, que la beauté ne se trouve pas dans la jeunesse, mais dans la persistance. La mémoire, l’amour, la maternité, le désir : autant de formes de résistance queer. Vieillir devient non pas un effacement, mais un soulèvement.
Une nouvelle promesse narrative.
Les films queer du Champs Élysées Film Festival 2025 ont ouvert une brèche : celle d’un âge queer, pluriel, politique, profondément vivant.