6e Festival Format Court : une ode au cinéma court et à la création libre
Du 19 au 24 mars 2025 — Studio des Ursulines, Paris
« Court mais intense« , pourrait être la devise de la 6e édition du Festival Format Court, qui s’est tenue au Studio des Ursulines à Paris. Pendant cinq jours, plus de 800 spectateurs et 70 professionnels ont vibré au rythme du format court à travers une programmation riche, audacieuse et résolument contemporaine.
Une édition dense et vivante
Le festival a proposé 8 séances (dont 4 compétitives et 4 thématiques), une masterclass avec Boris Lojkine, deux rencontres professionnelles, ainsi que le lancement d’un Lab dédié à l’écriture. Le tout placé sous le parrainage de Vincent Macaigne, figure libre du cinéma d’auteur français.
Chaque projection fut suivie de riches échanges entre le public et les artistes. Ce qui fait la force de ce festival : sa proximité, son exigence et sa capacité à révéler de nouveaux talents, souvent venus de France, mais aussi d’ailleurs.
Palmarès 2025 : coups de cœur et révélations
Grand Prix Format Court
→ Adieu Tortue de Selin Öksüzoğlu (France, Turquie)
Un récit tout en délicatesse et mélancolie, porté par une mise en scène sensible.
Prix du Meilleur Scénario & Prix du Jury Presse
→ 1 Hijo & 1 Padre de Andrés Ramírez Pulido (Colombie, France)
Une narration puissante, à la frontière du drame familial et du thriller psychologique.
Prix de la Meilleure Image
→ TAPAGE de Joséphine Madinier
Un travail visuel maîtrisé et contrasté, au service d’un récit viscéral.
Prix de la Meilleure Création Sonore
→ Sous le gel de Glasgow de Léo Devienne, DOP Hadrien Vedel
Un univers sonore envoûtant, qui amplifie la solitude glacée du récit.
Prix de la Meilleure Interprétation
→ Bétina Flender dans Une fille comme toi de Nathalie Dennes
Une interprétation d’une justesse rare, toute en nuances et intensité.
Prix du Jury Étudiant
→ Mille Moutons de Omer Shamir (France)
Une œuvre drôle et décalée, aux accents poétiques assumés.
Prix du Public
→ Chère Louise de Rémi Brachet (France)
Un film simple, touchant, qui a su émouvoir les spectateurs par sa sincérité.
Boris Lodjkine
Boris Lojkine : un cinéma de terrain, du Vietnam à Paris
Masterclass – Festival Format Court 2025
Invité du Festival Format Court, Boris Lojkine a partagé une masterclass passionnante autour de son parcours, de ses méthodes et de sa manière si singulière d’aborder la fiction. D’abord documentariste, devenu cinéaste de fiction sans jamais renier l’ancrage dans le réel, il a évoqué ce va-et-vient constant entre observation, immersion et narration.
Voir, lire, chercher
« Pour écrire un scénario, il faut avoir vu des films, mais aussi lu des scénarios. » Dès l’introduction, Boris Lojkine rappelle cette évidence souvent oubliée. Mais sa démarche va bien au-delà : chaque film commence pour lui par une recherche documentaire intense, nourrie d’articles, de témoignages, de lectures. Il revendique un cinéma d’enquête, qui prend le temps de comprendre avant de raconter.
Le Vietnam : genèse d’un regard
Avant de tourner Hope, Boris Lojkine a passé plusieurs années au Vietnam, où il a réalisé deux documentaires marquants :
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Ceux qui restent (2001), qui suit les proches de soldats vietnamiens morts au combat et jamais revenus, questionnant la mémoire et le silence.
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Les âmes errantes (2006), un film bouleversant sur les familles à la recherche des corps de leurs proches disparus, hantées par la croyance que leurs âmes errent faute de sépulture.
Ces films, tournés en immersion totale, donnent la parole aux oubliés de l’histoire. Là-bas, il apprend à attendre, écouter, ne pas forcer le réel, une méthode qu’il appliquera ensuite à la fiction, sans jamais trahir le documentaire.
L’expérience du terrain
Avec Hope (2014), il souhaite raconter le parcours d’une migrante nigériane à travers l’Afrique. Il écrit le scénario depuis Paris, lit des rapports d’ONG, imagine les situations. Mais une fois sur le terrain, au Maroc, il réalise que « tout ce qu’[il a] écrit est faux ». Les ghettos de migrants sont organisés par nationalités, les violences faites aux femmes sont omniprésentes et structurantes – deux éléments absents des sources initiales.
Cette confrontation directe avec le réel l’oblige à réécrire le film au contact du terrain, une méthode qu’il poursuivra dans tous ses projets suivants.
Camille : la fiction au contact du réel
Avec Camille (2019), biopic sur la photojournaliste Camille Lepage, tuée à 26 ans en République centrafricaine, il entre dans la fiction classique. Mais là encore, il choisit de tourner avec des non-professionnels, et de plonger l’actrice Nina Meurisse dans un environnement réel, instable, mouvant.
Lojkine avoue ses doutes sur la direction d’acteurs : il préfère laisser émerger, capter l’instant plutôt que guider. « Je fonctionne à l’écoute », dit-il. Il revendique un cinéma sensible, pas démonstratif, qui se nourrit des personnes filmées.
L’histoire de Souleymane : quand la fiction part du réel
Avec L’histoire de Souleymane (2024), présenté à la Semaine de la Critique, Lojkine applique pleinement sa méthode : recherche de terrain d’abord, écriture ensuite. Il rencontre de nombreux livreurs à vélo sans-papiers à Paris. Puis il cast sans scénario finalisé. Il trouve Abou Sangaré à Amiens. « Dès que je l’ai vu, j’ai su que c’était lui. »
Le scénario préexiste, mais c’est l’histoire personnelle de Sangaré, ancien mineur isolé guinéen, qui vient nourrir le personnage. « Ce n’est pas à moi, cinéaste blanc, d’inventer l’histoire intime d’un jeune homme guinéen. Abou l’a vécue. » Le film gagne alors une dimension incarnée, humaine, politique.
Un acteur non professionnel, une présence saisissante
Lojkine revient longuement sur la manière dont Abou Sangaré, sans formation, a imposé une présence bouleversanteà l’écran. « Il ne joue pas, il est », dit-il. Dès les premiers essais, c’est son silence, sa densité intérieure, qui frappent. Il ne cherche pas à convaincre, mais à être au plus près de lui-même.
Dans la scène de l’entretien à l’OFPRA, face à Nina Meurisse, tout se joue dans le regard, dans les silences, dans l’hésitation à dire. Lojkine confie lui avoir dit : « Tant que tu ne dis rien, tu as le pouvoir. » Ce moment suspendu, tout en tension contenue, devient le cœur émotionnel du film. Un sommet de retenue, de vérité, de cinéma.
Des montagnes du Vietnam aux rues de Paris, Boris Lojkine filme ceux qu’on ne regarde pas, sans jamais les figer dans un rôle. Il invente un cinéma du réel, hybride, attentif, profondément humain.